VAGUER | 2014-2024
Dix années de recherche et de création, dix années pour prendre le temps d'en faire la pleine expérience, totale et vibrante. Dans l'immédiateté du faire, dans la pluralité des échanges et des rencontres comme dans le recul de la réflexion. Celui du temps long de la pensée critique et théorique ; du souvenir heureux, de l'oubli et de la remémoration de tout le chemin parcouru. Vaguer, c'est peut-être ça après tout ; aller çà et là sans se fixer. Prendre le monde comme il vient, en pleine face et à pleines mains. Du plus proche trottoir de Marseille au dernier bout de terre avant l'Antarctique en passant par une somme de choses qui à présent dépasse ma propre mémoire.
Tout processus de contournement de frontière, de dérive ou errance nécessite un lâcher prise. Il en va de même pour se préserver de la maîtrise et de l'ennui qui en découle. J’entends par scanographie mobile et située non pas le simple fait de scanner des choses autres que des livres ou des documents, mais le fait de devenir son propre scanner. C’est un état d’être, tout comme celui d’être artiste, gaucher ou marseillais. C’est pour moi le fait de parcourir et d’observer les choses avec une attention toute particulière. Plus que toucher, c’est être en contact ; plus que croiser, c’est rencontrer. Enregistrer le connu comme l’inconnu, y imprimer des mouvements et archiver du temps.
En somme, ce scanner est devenu bien plus qu'un outil. Il a d'abord remplacé mes pinceaux pour finalement devenir un compagnon de vie, acteur et réceptacle de presque toutes mes traversées. À force d’être ensemble nous nous sommes naturellement confondus l’un dans l’autre au sein d’un dispositif de recherche et d’exposition mobile permanent. Je suis devenu un scanner et lui est devenu Matthieu Bertéa.
Genèse | Vaguer est une aventure commencée en 2014 à Münster, en Allemagne, lors de mon séjour Erasmus. En quittant l’atelier de peinture de l’École Supérieure d’Art d’Aix-en-Provence, j’avais emporté un scanner portable dans ma valise pour numériser mes dessins, mes écrits et les pages de livres que je trouverais dans les bibliothèques. Après quelques semaines sur place, un soir comme un autre dans ma chambre étudiante, j’ai numérisé un dessin plus petit que le format A4 du scanner. Le bureau est alors apparu sur l’image, révélant les lignes des veines du bois et ses nuances allant du brun sombre à l’orangé. J’ai trouvé intéressant ce que la machine révélait sur le contexte du dessin, ce qu’il y avait autour. J’ai donc décidé de retirer le dessin, qui plus est n’était franchement pas très réussi, et de scanner uniquement le bois de la table. Retirer ce qui semblait faire œuvre au départ pour considérer le contexte comme l’œuvre elle-même paraissait naturel sur le moment, mais ce geste symbolique s’est, avec le temps, révélé fondateur. Le contexte s’était mué en sujet, l’image numérisée faisait œuvre. L’entour devenait le centre, et le scanner un pinceau d’un nouveau type.
Générations peinture | J'ai été initié à la peinture par mon grand-père Lucien Bertéa à l'âge de 7 ans. Lui-même était peintre en bâtiment et avait été initié par son père Louis, peintre et artiste fresquiste. Louis Bertéa avait quitté l'Italie alors qu'il était encore enfant, accompagné de son père Jean et de son grand-père Etienne, pour traverser les Alpes, depuis Pinerolo, sur une charrette tractée par un cheval. Marseille, pour beaucoup d'Italiens et tant d'autres, se révéla être une rude et belle terre d'accueil, emportant avec eux des savoir-faire ancestraux et notamment des techniques de tempera et de peinture à la chaux. L'acceptation qui sous le soleil tarde toujours un peu à néanmoins le mérite de toujours arriver. Maniant le dessin ; trompe-l'œil, faux marbres et bois, ils n'eurent peu de mal à retrouver le travail qui manquait au Piémont natal et s'installèrent dans le village de Saint-Louis, au nord de Marseille. Mon grand-père Lucien ; né en France peu avant la guerre, vu son père se faire emprisonner deux années en Allemagne, où il créera des décors de théâtre pour les prisonniers, puis le vit revenir un matin sans prévenir après que ce dernier se soit, par chance, fait passé pour un Marocain lors d'une épidémie de gale au sein de la prison. Ayant ensuite pris part à la résistance jusqu'à la libération, il put enfin s'investir pleinement dans son entreprise de peinture Bertéa et fils. Il faisait alors passer les examens de CAP Peinture à Marseille, décorait plusieurs écoles, hôpitaux et bâtisses. Il devint, de par leur passé de résistance commune, le peintre du maire Gaston Defferre. Décorant entièrement son bureau et repeignant chaque année son bateau. C'est cette histoire que son fils Lucien, mon grand-père, m'a transmise. Cette généalogie de la peinture fut accompagnée d'une longue initiation ; prélèvements de pigments en milieu naturel, broyage au mortier et pilon, enduits, vernis et secrets de cuisine et de physique. À 12 ans, j'apprenais à passer la colle de peau de lapin puis à l'âge de 18 ans j'ai commencé à peindre de manière régulière. Gardant cette pratique durant mes études de sociologie à l'université d'Aix-Marseille, jusqu'en 3ème année des beaux-arts, avant de partir en séjour Erasmus à la Kunstakademie de Münster. | Scanner pour peindre | Je n'ai jamais cessé de peindre. Aussi discutable que cela puisse paraître, pour moi comme pour d'autres, le fait de peindre n'est pas réservé à la "matière peinture". Être peintre est un état d'esprit. C'est entretenir une relation régulière, intime et réflexive avec des matières, des couleurs et des lumières. C'est consacrer un temps certain à cette recherche et c'est se sentir faire partie d'une communauté et d'une histoire, aussi bousculée ou niée soit-elle. C'est également une relation à des outils, souvent modifiés et adaptés, ainsi qu'à des savoir-faire et à des remises en question de ces derniers. C'est une expérience entre un être vivant, ses intentions et des supports de tout type. Les miens se situent tous à l'intérieur d'une toile numérique d'une largeur 2560 pixels et de longueur infinie. Sur celle-ci, j'applique ce que je prélève dans la réalité, en convertissant l’information visuelle analogique en données numériques. C’est-à-dire en une suite de chiffres, qui sont ensuite traités par le scanner pour les transformer en pixels de couleurs. C'est la numérisation.
Cette proximité entre les deux pratiques me permet de développer une compréhension plus profonde de la texture, de la lumière et du mouvement, enrichissant ainsi mon travail. Manipuler le scanner m’offre une palette de sensations particulières ; la pression exercée, le rythme des déplacements et l’interaction directe avec la matière me procurent une expérience tactile et immersive similaire à celle de la pratique de la peinture. D'ailleurs, lorsque je peins au rouleau sur les murs, je ne peux m'empêcher d'y discerner des analogies. Car, tout comme lorsque je passe le scanner sur une surface, j'en ressens les subtilités de leurs textures, leurs lisseté ou anfractuosités.
Un jour sans fin | Depuis que j’ai choisi de modifier radicalement ma façon de peindre, il est devenu une extension de moi-même, qu’il soit dans ma main, ma poche ou mon sac à dos. Cette présence constante me permet de capturer des fragments de réalité de manière spontanée, avec ou sans préparation préalable. Cela m’a également amené à réfléchir à la direction à prendre dans cette nouvelle pratique. En effet, lorsqu’on décide d’utiliser un médium artistique, il est essentiel de se situer par rapport à celui-ci. À cette époque, je n’avais trouvé aucun exemple d’utilisation similaire de cet outil. Devant moi s’étendait un territoire artistique inexploré à l’intérieur duquel une sensation dichotomique, mêlant vertige et liberté d’agir, s’en dégagé. J’avais alors le choix de me cantonner à certains types de gestes et sujets, ou envisager une pratique totale et libre, en voyant bien où elle me mènerait. Avec du recul, je réalise combien cette approche globale m’a permis d’esquisser les limites et les potentialités de la scanographie mobile en tant que médium artistique. Durant ces dix dernières années, j’ai exploré des surfaces de toute nature, cherchant toujours à repousser les frontières de ce que cet outil peut capturer. J’ai compris que le scanner n’était plus simplement un instrument de reproduction, mais un moyen d’interagir avec le monde. En variant les contextes et les approches, j’évitais la répétition stérile. Chaque nouvelle exploration était une opportunité de découvrir quelque chose de surprenant et de stimulant. Cette dynamique nourrit depuis lors mon enthousiasme, empêche toute lassitude de s’installer et transforme la quête illusoire de maîtrise en un champ de réflexion et d’expérimentation sans fin. | Des temporalités en mouvement | Le scanner agit comme un enregistreur d'espaces, capturant le passage du temps à travers un mouvement. Chaque balayage commence et se termine à des points précis, documentant une séquence d’actions spatialisée et créant des images avec un début, un milieu et une fin. Cette dimension narrative crée des récits et des chorégraphies visuelles, donnant à chaque scanographie sa propre structure temporelle. D'une certaine manière elles s'apparentent à des frises chronologiques où distance et temps se confondent. Libéré des contraintes d’utilisation “correcte” de la machine, les gestes peuvent être rapides ou lents, frottages, glissements ou caresses, dans toutes les directions. Un mouvement ondulatoire de la main sur un élément droit formera des courbes, tandis qu’un va-et-vient produira des symétries klecksographiques, semblables à celles des tests de Rorschach. | Le pouvoir de la nuit | Toute personne ayant utilisé un scanner fixe de bureau connaît l’importance du capot de l’appareil, permettant de créer une obscurité au-dessus du document. Me concernant, mon capot, c’est la nuit. La nuit et son obscurité rendent mes images plus vibrantes ; les contrastes sont plus présents, les couleurs sont plus vives. Mais au-delà de ça, c’est la nuit elle-même qui devient un espace de création. Elle apporte une dimension sensorielle particulière ; les sons s'y font plus rares, les mouvements plus discrets. Cette atmosphère silencieuse et introspective me permet de me concentrer pleinement, de me laisser guider par les sensations et les impressions immédiates. Elle m’invite à une forme de méditation active, où chaque geste, chaque balayage du scanner, devient une exploration intime de la matière et de l’espace. | Exploration des surfaces et perception haptique | Mon approche repose sur le toucher comme mode d’approche sensoriel. Cette méthode me permet d’entrer en contact direct avec le sujet. Mes gestes se synchronisent avec la mécanique du scanner, mes yeux et ma main balaient les surfaces en tandem. C'est une machine optique sans viseur où c'est le corps qui cadre. Mes images seraient différentes si j'étais droitier et elles le seraient tout autant si l'envergure de mes bras était plus grande ou plus petite. Cela leur attribue une qualité anthropométrique, car elles sont à ma mesure et portent en elles ma présence. Le principal défaut de cette machine qui fonctionne avec des roulettes est que les tremblements ou mouvements déforment le document numérisé. Cependant, cette limitation est devenue l'une des caractéristiques principales de mon processus de création. En utilisant le scanner d’une manière non conventionnelle, j’ai réalisé qu’en déplaçant ma main avec lui sur les choses, je pouvais les déformer, les modeler, et en quelque sorte dessiner sur la matière parcourue. Le scanner suit précisément la trajectoire de ma main et enregistre également les déplacements du sujet lorsque celui-ci bouge. Toutes les données recueillies sont non seulement archivées, mais aussi réinterprétées par les déformations et les modulations de mes actions, capturant ainsi chaque infime variation. Les virages deviennent des courbes, les saccades créent des motifs et les variations de vitesse génèrent, quant à elles, des vibrations optiques. C'est une expérience sensorielle, évoquant la notion haptique développée par Deleuze et Guattari dans leur livre “Mille Plateaux”, publié en 1980. Le terme “haptique” vient du grec “haptesthai”, qui signifie toucher. Dans les sociétés occidentales, la vision a souvent été valorisée comme le sens principal de connaissance et de contrôle. La perception visuelle tend à être à distance et détachée, privilégiant la représentation, la perspective et la séparation entre sujet et objet. L’haptique, en revanche, implique un type de perception qui est intime, proche, et directement en contact. Plutôt que de créer une distance entre le sujet et l’objet, l’haptique favorise une continuité et une immersion. Il n’y a pas de séparation nette, mais un enchevêtrement et une interaction constante. Cette notion est intimement lié aux concepts deleuziens d’espace lisse et d’espace strié. L’espace strié est celui de l’ordre, de la structure et de la hiérarchie. Il est segmenté, mesuré et contrôlé, correspondant à une vision du monde organisée et normée. L’espace lisse, au contraire, est continu, ouvert et fluide. Il est plus difficile à quantifier et à contrôler. L’expérience haptique est celle de l’espace lisse, où les frontières sont floues et les interactions sont dynamiques et en constante évolution. Cela évoque des territoires non cartographiés, des déserts ou des océans, des espaces de nomadisme et de liberté. Les auteurs soulignent que l’art, en particulier, peut être une expérience haptique. Ils font cas notamment d'une vision propre à l’art égyptien dans la mesure où ce dernier est conçu sur le principe de la frontalité, art où fond et forme se confondent. Dans la peinture, par exemple, ils évoquent les œuvres de Cézanne, Bacon ou de Pollock, où la texture, la matière et le processus de création sont autant valorisés que la forme finale. L’observateur est invité à ressentir la peinture non seulement visuellement mais aussi physiquement, comme une surface tangible et active. La notion d’haptique engage également une réflexion sur la subjectivité et le corps. Contrairement à la perception visuelle qui place le sujet en position de maître observateur, l’haptique implique une participation corporelle et une imbrication de soi avec l’autre et le monde. Cela rejoint les idées deleuziennes de devenir et de multiplicité, où l’individu est toujours en processus de transformation et de connexion avec des forces externes. Le rhizome, autre concept central chez Deleuze et Guattari, est une métaphore pour des systèmes de pensée et de structures sociales non hiérarchiques et sans centre fixe. Il s’oppose à l’arbre, qui symbolise une structure rigide et binaire. Le rhizome, tout comme l’haptique, représente la multiplicité, la connexion horizontale et la fluidité. Dans cette optique, l’haptique devient une façon de penser et d’être dans le monde qui est rhizomatique par nature. | Parcourir l'espace | Vaguer est une manière de parcourir le monde, de le traverser et de le transformer en même temps que je suis transformé par lui. Le parcours implique une exploration active et une interaction constante avec l’environnement. Pour scanner un rocher, je ne me contente pas de rester à un seul endroit. Je l’escalade, trouve des appuis, et me déplace sur de celui-ci pour en capter différentes parties. Je découvre son endroit, son envers et change de point de vue tout en enregistrant ces derniers. Parcourir, c’est aussi traverser des événements, des états et des devenirs. Le parcours est un processus temporel où chaque moment est une variation, une différence par rapport au précédent. Un nuage peut couvrir le soleil l'espace d'un instant comme un passant peut m'obliger à me déplacer à quatre pattes sur le trottoir pour lui laisser le passage. Ceci transforme l’acte de numériser en une aventure physique, où le déplacement sur le sujet est aussi important que l'action de le toucher. Le parcours devient une exploration à part entière, ajoutant une dimension d’interaction avec l’espace. Le temps d'un parcours, je deviens le rocher comme je deviens le trottoir.
Philosophie de l'errance et de la dérive | Vaguer, c’est d’abord une philosophie. C’est donner sa chance au hasard pour se laisser surprendre par ce qui nous entoure dans une société où nos déplacements et comportements psychogéographiques sont souvent planifiés et organisés. Face à cela Vaguer se propose comme une main tendue vers l’imprévu. Là où le lacher prise et la spontanéité engendrent la rencontre, dans ces moments où l’on laisse les événements et les personnes croiser notre chemin de manière fortuite. Être au contact et savoir se rendre disponible. C'est comme au football quand on souhaite recevoir la balle, crier ou lever la main ne suffit pas. Il faut créer des dispositions favorables et ouvrir des espaces. Je crois que certains d'entre nous s'en sont prémunis dès l'adolescence où ils ont connu les joies de traîner dehors. Car, en effet, ces inombrables sorties sans but précis, ces errances solitaires ou entre amis développent un certain sens du déplacement et de l'observation. Il déverouille des aptitudes sociales et transforme tout lieu accessible physiquement en espace public. Le football, pour y revenir, illustre cette pratique avec un stade fantasmé par deux pulls et deux pierres. Ces habitus et modes d'itinérances m'ont emmené à m'intéresser au concept de dérive énoncé par Guy Debord, l’un des principaux théoriciens de l’Internationale Situationniste. Elle est décrite comme une technique de déplacement et d’exploration urbaine caractérisée par la perte de repères habituels et la soumission aux attraits et aux rencontres fortuites de l’environnement. La dérive implique de se déplacer en se laissant guider par les ambiances et les impressions de l’espace urbain. Les participants (appelés “dériveurs”) explorent la ville de manière ludique et expérimentale, en s’écartant des itinéraires habituels et des contraintes de la vie quotidienne. Me concernant, les rencontres avec les hétérotopies de Michel Foucault, les hétéronymes de Fernando Pessoa et le bricolage de Michel de Certeau couplées avec cette jeunesse marseillaise et mes études en sociologie et en école d'art ont fini par me décider, à l'unanimité avec moi-même, que je pouvais devenir n'importe qui et faire ce que je voulais, où et quand je voulais. | Dispositif mobile d'exposition | L’idée du dispositif mobile d’exposition est née de mes pratiques dans l’espace urbain. Dès mes premières expérimentations en extérieur, les réactions des passants ont été nombreuses et variées. Intrigués par ma présence et mon activité, ils s’arrêtent pour observer ce que je fais. Ils sont souvent étonnés de me voir déambuler dans la ville avec cet outil, se demandant pourquoi je frotte cet appareil sur un mur, pourquoi je me retrouve à quatre pattes sur un trottoir, ou pourquoi je me suis accroché à un réverbère pour le longer avec le bras. J’apprécie particulièrement ces interactions spontanées, car elles ajoutent une dimension sociale et humaine à ma démarche, transformant certaines interventions en performances participatives. Très vite, des discussions ont émergé avec ces personnes, différentes de celles que je pouvais avoir avec des gens du milieu. Ces conversations sont souvent brutes, non préparées, et viennent interrompre leur quotidien autant qu’elles percutent le mien. Cela amène des visions autres, des références et des types de questionnements inédits ainsi que des retours diversifiés. En effet, les fichiers numérisés sont de par les caractéristiques du scanner enregistrés directement sur une carte microSD, ce qui facilite leur transfert vers d’autres appareils, un ordinateur ou dans ce cas précis sur un téléphone portable. Ce dernier, s’étant révélé précieux pour visionner les images, mais également en offrant la possibilité d’un partage et d’une diffusion directe. Je peux montrer les résultats immédiatement, permettre aux plus curieux de zoomer sur les images, de poser des questions non seulement sur le geste mais aussi sur le résultat de celui-ci, et d’avoir une compréhension plus fine de ce qui vient de se qu’il viennent de voir. Ces monstrations spontanées et personnelles peuvent se dérouler n’importe où, que ce soit sur un trottoir, en pleine forêt, en transformant n’importe quel espace en un lieu de diffusion éphémère et improvisé. Cela contraste avec le processus classique d’exposition, qui implique préparation, production et invitation dans des lieux standardisés et géographiquement identifiés comme des espaces d’art. Ici, le trottoir, car c'est peut-être celui le plus partagé et usité de tous, devient un lieu d’art. Comme les nombreux autres utilisateurs de cet espace commun, je m’y insérais naturellement ; entre passants, promeneurs de chiens, prostitués, portraitistes, musiciens, graffeurs, clowns, sans-abris et vendeurs à la sauvette. | La rencontre comme œuvre d’art |
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Ayham et Zeus
Serge
Ultravaguer |
Remémorisation et écriture |
Mémoire et réminiscence sensorielle |
Archives sensibles |
Résidences autonomes
Je me relève > Intranquille > Je marche et parfois glisse > Sur des surfaces, sur des matières > Je m'aventure dans l'urgence > Sur des personnes, sur des espaces > Souvent je roule, parfois déroule > Et je rêve que je cours, presque > J'ouvre, j'entre et je dis bonjour, toujours > Je passe mon temps à vaguer > À me mouvoir > Sur une toile sans fin > Presque abstraite, réticulaire > Allant du blanc au noir en passant par tout le reste > Autant de lignes, que de chemins > Une somme de croisements > Plus j'avance, plus je me projette dans d'autres formes > Dans d'autres détails, d'autres histoires > Alors je m'approche, je frôle, je touche > Et viens me coller contre, généreusement > Je cherche à comprendre, tout comme je cherche à appréhender, à saisir > Aimer et contenir > Par les mains, par les mots > Avec instinct je prends appui > Et avec mon corps, je me positionne et fais appel > Parfois bien, parfois mal > Tout cela est un rééquilibrage permanent > Une constance absurde, une somme de choix > Que tu pointes, que je tire > Plante, fuis, suspends, coupe et filme > Je me livre au hasard > J'extrais, je rassemble, je collecte et je soustrais > Je poursuis des lignes, je collectionne des pixels et je rassemble des distances > Je me mesure au monde et au temps > Droit dans mes yeux et de travers dans ma démarche > Qui est une enquête quotidienne > Socio-poétique > Complexe et sans fin > Protagoniste et narrateur > Je recherche des couleurs, des lumières, des formes témoins de mon chemin > À travers lesquelles je suis des directions > À l'intérieur et autour > Murs, sols et plafonds, sans distinction > Je suis le flux et je suis le filtre > Je stocke plus que je ne peux et je déborde > Ensuite je me recompte, je compare, je recoupe et je détaille > Je poursuis des analogies pour mieux comprendre mes différences > J'établis de longs questionnaires > Et je construis des pièges > Des compagnons de voyage, des fatigues et des outils > De toute espèce > Pour cela je me déplace, passe et déplace > Je ne cesse de me travailler, de m'étendre > Avec cette machine vissée dans la main > Car c'est elle qui prolonge mon envergure > À travers ces excroissances, ces poids > Que je garde, que jamais ne jette mais parfois oublie > Ensuite je reviens et je me souviens > Je rassemble, je fais le tri, je me débats et fait débattre > Je me disperse pour mieux nous rejoindre > Autrement, je veux ressentir à l'infini > Chercher des autres et leur soumettre l'imprévisible > Car nous n’avons de limites que nos possibles
Matthieu Bertéa, 2016
" --- la création, comment supporte-t-elle un cadre institutionnel alors qu'elle subvertit toute institution et tout cadre --- parce qu'ils aiment beaucoup leurs outils, les artistes-bricoleurs sont des artistes de la multiplicité et de la coupure --- on les trouve toujours avec des petits bouts dispersés ou assemblés --- et c'est jamais en arrêt --- quand tu as travaillé à Castorama au rayon quincaillerie, tu t'es spécialisé en serrurerie, clefs et serrures --- plus de mystères pour ouvrir toutes les portes --- une immense fluidité est lâchée comme le sang rouge qui sort de l'ascenseur du Shining de Kubrick --- tu es en ce sens une sorte d'Arsène Lupin de l'art contemporain --- car tu as braconné un bout d'espace et de temps pour que l'art puisse se faufiler là et là --- et la façon dont tu scannes les murs pour en faire des impressions ou de la vidéo, c'est bien-sûr un geste de peinture où tu es là encore comme une figure emblématique, une sorte de Hans Richter de la vidéo du coup mais c'est plutôt comme un cambrioleur qui a besoin d'épier dans la matière le moindre creux derrière le mur afin de repérer où se trouve le butin --- et toi, ton butin n'est pas derrière le mur (aucun vol de ta part), il est dans le processus lui-même et dans les infimes vibrations --- mouvement unilatéral infini qui observe et enregistre l'incertain --- scruté comme un désert sans vent --- dîtes-moi, Matthieu m'aurait-il vidéographié la tête, l'histoire ? --- une ligne ou une chaîne ininterrompue comme ces colliers, immenses assemblages de bouts de fragments industriels, une espèce de paléontologie avec des matériaux de chantier --- et l'espèce d'audace à être à la fois dedans et dehors l'institution --- cette navette qui coud dans un sens puis dans l'autre et cet enfant qui change tout le temps les règles du jeu alors il s'assure des règles et les dérange. "
Paul-Emmanuel Odin, docteur et enseignant à l'école supérieure d'art d'Aix-en-Provence - 2016 (extrait du catalogue Nouveaux Regards)
" Tracés d’ondes sonores rythmés par la ville ou par un battement de cœur ; tracés d’un houlographe à l’image d’une vague et régis par les lois de pression, de rugosité et de surface, ou tracés de sismographe, machine ô combien romantique, capable de mesurer les accélérations des mouvements de la Terre ? Les lignes fluides ou les étirements de matière sont autonomes et libèrent une énergie continue. Elles contrôlent le format de l’image afin de mieux satisfaire leurs besoins d’étendues. Elles circulent librement et forment des entrelacs à l’intérieur d’un fond sombre qu’elles dominent. Leurs couleurs, alternent le flou et le net, vibrent et exigent la contemplation. La douceur du rendu exprime à la fois le geste qui fut lent et celui qui renferme une expérience maîtrisée. Une espèce de dualité est donc à relever ici, car les formes se déplacent et se confrontent. Elles seraient devenues comme l’eau capable de se faufiler par un chemin et capable de s’échapper d’un espace réprimant. Pourtant, la pratique résulte d’une manipulation contrôlée. Et c’est un peu comme un nom au bout de la langue qui ne vient pas, on reconnaît sans reconnaître l’image que l’on a en face de soi, parce que les formes qui sont habituellement délimitées sont ici, autres. À l’aide d’un scanneur portatif, Matthieu Bertea prélève des échantillons d’objets prédéfinis, comme du mobilier urbain, des voitures, un grillage, du bitume, etc. Outre l’idée selon laquelle, Matthieu Bertea conditionne un volume à une image plane, tout en étirant la matière même de l’objet, le scanneur oblige l’opérateur à toucher, à renouer avec le geste et à se saisir d’un détail. Lorsque dans son essai, Peinture. Photographie. Film.[2], de 1925, László Moholy-Nagy rapprochait l’appareil photographique du télescope et des radiographies, il réalisait un éloge de tout appareil de reproduction. Et il serait intéressant de comparer ces deux frères que sont la photographie et le scanneur, nés des recherches autour de la lumière, au prisme du numérique et des nouvelles technologies. À l’heure de Photoshop, le débat autour de la photographie s’épuise au point de ressortir encore et encore les mêmes questions ancestrales. En effet, bien qu’aujourd’hui on parle de « post-photographie », l’image a toujours été susceptible d’être trafiquée. Soit en étant mise en scène soit en subissant des retouches directement sur le verre, le film et aujourd’hui… sur l’écran. D’où le fait que le débat autour de la post-photographie ne donne à mon sens, rien de nouveau. En revanche, le scanneur reste le grand absent des réflexions critiques et cela sans doute en raison de la rareté de son utilisation à des fins artistiques. Mais la pratique de Matthieu Bertea permettrait d’apporter des angles innovateurs, car cette fois, l’outil contraint l’artiste à se trouver sur le lieu et à s’approcher jusqu’à toucher son sujet. Voici donc un appareil de reproduction qui ne tolère pas la prise de distance et oblige l’opérateur à engager son corps dans l’espace. Or plus qu’un engagement, le geste de l’opérateur est obligé d’épouser la forme de l’objet à scanner. La main glisse et le corps se courbe tel un skateur qui tient au bout de ses pieds, l’électricité de la ville. Un sport qui, on le rappelle, est né de surfeurs qui ne se sont pas laissés assujettir par le temps. D’ailleurs, ils ont fini par ne plus se satisfaire de l’asphalte non plus, et ont glissé sur du mobilier urbain ou sont entrés dans des propriétés privées afin de toujours mieux défier les lois de la pesanteur. Du reste et contrairement aux autres arts urbains, Matthieu Bertea n’ajoute pas de la matière à la ville comme les graffeurs. Il prélève une image de l’objet et transporte celle-ci dans un ailleurs, tel un cambrioleur. Mes courbes ne sont pas folles (H. Matisse) | Le rendu du scanneur pourrait également flirter avec des théories plus lointaines et d’origine plus manuelle qu’automatique. La simplification des formes et le tirage prenant l’apparence décorative d’un tissu, ne restent pas sans faire appel à l’art d’Henri Matisse qui, bloqué dans son lit et malgré sa cécité, créa des découpages de papiers colorés. Les ciseaux ont remplacé les pinceaux. S’agit-il donc simplement de changer de médium pour toujours repousser les limites de l’art ? Si on évoque cette anecdote aux allures de légende, c’est parce que les œuvres de Matthieu Bertea modèlent les espaces et offrent un point de vue différent sur le monde. Un regard plus simple et plus poétique. Matthieu Bertea, donne une existence physique à des lieux imaginaires : il crée des lieux hétérotopiques. Mais son flegme naïf est déconcertant tant il nous renvoie à notre perception si biaisée, si petite, des mouvements et de l’espace. Ne reste plus qu’à surmonter les pensées sclérosées et à imaginer un temps qui pourrait se voler et se suspendre. "
Rosanna Tardif, critique et historienne de la photographie contemporaine - 2017 (extrait d'un article paru sur ARTSPHALTE.COM)
" Matthieu Bertéa observe la question des limites en aménageant une hétérotopie comme condition d’apparition de son travail. Il n’y a pas « d’à côté » à la représentation, pas de marge, pas de off, pas de coulisses. Tout est là. Pour de vrai et entier. On pense que ça va commencer mais ça a déjà commencé et on fait déjà partie de la matrice. Matthieu Bertéa y fait feu de tout bois. Dans ce système, il se situe artistiquement par son intransigeance, parce qu’il ne concède pas que quelque chose se dérobe. Tout est alors matière. Il n’y a pourtant aucun rapport de force, aucun piège, juste une conscience tendue, à portée de main. Au bout de cette main justement, il manipule un scanner embarqué. Des yeux dans la main. Il absorbe du réel, par des gestes directs. Ce travail d’empreinte fait suite à sa pratique de peinture. Avec sa radicalité, il a logiquement troqué ses rouleaux à peindre pour un outil médium, voire médiumnique. Ce travail de glisse, sous la forme d’un prélèvement par un rai de lumière, s’apparente à une dérive sans destination. Le glanage n’a pas de limites puisque le butin, numérique, relève d’un braconnage habile qui ne lèse aucun propriétaire. Ainsi désamorce-t-il et déjoue-t-il interdits et obstacles, accumulant, cataloguant, et expérimentant images, gestes et situations. "
Bénédicte Chevallier, directrice de Mécènes de Sud - 2018 (extrait du texte de présentation de l'exposition F(EUX))

Portrait prenant la forme de d'un diagrame réalisé à Buenos Aires en 2017 par Taina Azeredo, commissaire et chercheuse.
MATTHIEU BERTÉA
Né en 1988
Vit et travaille à Marseille
Membre fondateur et résident de l'association À PLOMB' - Marseille
Membre fondateur et vice-président de l'association collégiale LES 8 PILLARDS - Marseille
Membre fondateur du rhizome social PAPYRUS - Marseille
Expositions personnelles |
2021 | MORE VIVANT / Saison du dessin, Les 8 Pillards - Marseille
2019 | 21,7 / MMA l’Estaque, Marseille
2019 | DES ESPACES AUTRES / Galerie Artsphalte, Arles
2019 | FA1000IA / Au 33 / Printemps de l’Art Contemporain, Marseille
2018 | VAGAR / commissariat Caroline Coll, galerie de l’Alliance Française d’Argentine, Buenos Aires
2018 | F(EUX), étincelle, pleins feux, braises / commissariat de Bénédicte Chevallier, avec le soutien de Mécènes du sud, Marseille
2016 | POUR UN CAMBRIOLAGE AMOUREUX / Atelier Cézanne, Aix-en-Provence
Expositions collectives |
2022 | RÉCIT(S) - Journées européennes du patrimoine / Les 8 pillards, Marseille
2022 | PLAN B - avec À Plomb’ / Les 8 pillards, Marseille
2022 | MURMURATIONS - avec À Plomb’ / Friche Belle de Mai, Marseille
2021 | DÉSIR MOTEUR, Saison du dessin, Atelier À Plomb' / Les 8 Pillards - Marseille
2020 | OAA / Ouvertures d’ateliers de la ville de Marseille / Les 8 Pillards - Marseille
2019 | LIKE PRESSED FLOWERS / Festival Technomancie 2, Couvent Levat, Marseille
2019 | ALLUME MOI SI TU PEUX / sur invitation de François Brillant, Paris x
2017 | «COLLOQUATION» / 3 bisf - lieu d’arts contemporains, Aix-en-Provence
2017 | LES VISITEURS DU SOIR / avec le collectif Crash-Test, Galerie Eva Vautier, Nice
2017 | PLAY, DO, TRY, FAIL, GET LOST / à la Ira de Dios, commissariat de Tainà Azeredo, Buenos Aires
2016 | TERRITORIO Y FOTOGRAPHIA / en partenariat avec les beaux-arts de Porto, Porto
2016 | SYSTÉMATISMES ET ÉCHAPPATOIRES / Pavillon de Vendôme (nouveaux regards), Aix-en-Provence
2015 | RUNDGANG 15 / kunstakademie Münster, Allemagne
Biennales |
2020 | MIRARNOS A LOS OJOS / Biennale de l'Image en Mouvement, invitation de Gabriela Golder et d'Andrés Denegri, Buenos Aires
2018 | QUÉ HACER / Biennale de l'Image en Mouvement, commissariat de Gabriela Golder et Caroline Coll, Buenos Aires
2017 | ANTI-HOMMAGE DADÀ / Biennale de Performance, sur invitation du collectif la Réalité, Centre Culturel Recoleta, Buenos Aires
Résidences |
2022 | Résidence à Molines en Queyras, programme Rouvrir le monde avec la DRAC PACA et le Centre d'art des Capucins d'Embrun
2018 | Résidence itinérante sur invitation de l'Alliance et de l’Institut Français d'Argentine entre Ushuaïa, Mendoza, Cordoba, Rosario et Buenos Aires
2017 | Résidence Dos Mares à la Ira de Dios, avec le soutien de la ville de Marseille, Buenos Aires
2016 | Résidence de création, 3 bisf, lieu d’arts contemporains, Aix-en-Provence
Résidences autonomes |
2024 | Résidence itinérante au départ de Marseille entre Dolo, Venise, Padoue, Bologne et Camogli
2023 | Résidence itinérante au départ de Marseille entre Tolède, Cordoue, Grenade, Guadix et Murcia
Performances |
2018 | UNITÉ M / évènement Somewhere #1 sur invitation, de Lydie Marchi avec la plateforme Hydrib - La Fabulerie, Marseille
2017 | SCANFACE / performance et présentation publique à la Ira de dios, Buenos Aires
2017 | C'EST L'HISTOIRE D'UN PAILLASSON QUI EN ATTENDANT LE BUS DEVINT UN PASSAGE PIETON, 3 bis f, Aix-en-Provence
2017 | CATCH ME IF I SCAN / Performance pour gardiens d'exposition - Collection Berardo et Maat museum, Lisbonne
Éditions et catalogues |
2024 | CA VA DE SOI / Fanzine riso réalisé lors d'un workshop à l'usine Pillard avec Alouette sans tête, le Cabanon de Simon et l'Institut Goethe
2018 | Catalogue de la Biennale de l’Image en Mouvement, Buenos Aires
2016 | Catalogue nouveaux regards - Aix-en-Provence
2015 | VAGUER / édition papier imprimée à 100 exemplaires - La collection #11
Formations |
2016 | DNSEP avec les félicitations du jury, École Supérieure d’Art d’Aix-en-Provence
2015 | Séjour ERASMUS dans l'atelier d'Aÿse Erkmen, Kunstakademie Munster, Allemagne
2014 | DNAP avec les félicitations du jury, École Supérieure d’Art d’Aix-en-Provence
2006-2009 | Parcours en sociologie, Action publique et politiques sociales, Université Aix-Marseille
Transmissions |
Initiation à la culture corse et italienne, au regard, à la couleur et à la peinture par Lucien Bertéa (1936 - 2018)
Initiation à la culture espagnole, au tarot et aux pratiques médiumniques par Julie Bertéa, née Canovas (1941)
Initiation à la culture arménienne, à la cuisine et au jardinage par Denis Vartanian (1936)
Initiation à la lecture, à l'histoire et aux enjeux socio-politiques par Jean-Paul Bertéa (1960)
@ : mbertea@live.fr
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