Là | 2011-2016 - Installations situées, panneaux de bois peints
Beaucoup d’artistes orientent leurs travaux autour du thème de frontière pour des raisons en général, sociales ou politiques. Mais la frontière apparaît plutôt comme une ennemie à laquelle il faut se heurter alors que Matthieu Bertea semble faire d’elle une alliée, une compagne de jeu. Qui par exemple, ne suffoquerait pas à la simple évocation d’un labyrinthe? Or ce qu’il y a de déroutant, c’est qu’on imagine bien l’artiste en question se saisir des lignes de ce piège afin de les déplacer, de les agrandir, les arrondir, les trouer ou les peindre en bleu. Bref, en faire ce que bon lui semble, à l’égard de ces lieux interdits d’accès dans lesquels il pénètre. Les formes, leurs contours et leurs matières se retrouvent à l’image d’une pâte à modeler entre les doigts d’un enfant. Comme lorsqu’il transporte du sable pour lui changer son rôle initial et qu’il le dépose dans une salle de classe pour la transformer en Terrain de pétanque. D’une part, le sable a été déplacé de son lieu d’origine et d’autre part, le montage de l’œuvre a demandé un travail collectif, transformant certains de ses amis artistes en ouvriers de chantiers et en joueurs. À la fois unique et multiple, la notion de frontière s’applique aussi à l’individu et, non pas à son identité, mais à ses identités. Ce qui explique sans doute les références de l’artiste à l’auteur portugais Fernando Pessoa, comme avec l’œuvre Eau et Gaz :
«Il traverse tous les mystères et n’en connait cependant aucun, car il en connait l’illusion et la loi. Il ne prend plusieurs formes que pour se nier lui-même en elles et par elles, car comme son passage ne laisse aucune piste en ligne droite, il peut cesser d’être ce qu’il a été puisqu’il ne l’a pas véritablement été. Il quitte le serpent de l’Éden comme une mue, il quitte Saturne et Satan comme une mue, toutes les formes qu’il prend ne sont qu’une mue.[1]»
Dès lors et bien que d’une finesse inouïe par sa simplicité, l’œuvre de Matthieu Bertea semble somme toute, indiquer que tout est possible. L’horizon, par exemple, bien qu’inatteignable, se penche avec “ Là ”. Il pivote comme dans un rêve et une forme rectangulaire et noire se dresse droite au centre de l’image. Elle évoque une mystérieuse porte qui se balade de paysage en paysage, lesquels sont résolument obliques. Filmer et photographier, rien dans “ là ” n’est anxiogène. Le noir et blanc et le graphisme des scènes évoquent un calme à l’image des “Marines” de Sugimoto Hiroshi. Mais est-ce réellement le paysage ou nous, qui sommes de travers ? “Là” illustre une autre façon de regarder l’espace qui nous entoure. Rosanna Tardif